Tambours battants, chants, danses et effervescence communautaire : l’ambiance était à la fois solennelle et festive, ce mardi 21 octobre 2025 à Agonsa, dans la commune de Bopa, au sud-ouest du Bénin. La divinité Zangbéto, symbole de protection et d’ordre social dans la tradition vodun, a pris part à une cérémonie peu ordinaire : la sacralisation de 12 hectares de mangroves dans les villages de Agonsa,Kpindji et Tohonou.
Sur les rives du Lac Ahémé, cette action hautement spirituelle vise à protéger durablement les écosystèmes de mangrove, qui jouent un rôle crucial dans le bien-être des communautés locales et la stabilisation de la côte. Les communautés riveraines, venues en grand nombre, ont partagé ce moment aux côtés du maire de Bopa, des élus locaux, des dignitaires de la divinité Zangbéto, des agents des Eaux, Forêts et Chasse du Bénin, des membres du bureau de gestion de l’ACCB Lac Ahémé (association Hin Dhôkoun), de la coordination de l’ONG Eco-Benin et des partenaires techniques au développement.

Le Zangbéto, gardien spirituel et écologique
Dans la tradition béninoise, le Zangbéto communément appelé « gardien de la nuit » est investis d’un pouvoir moral et spirituel qui lui permet d’assurer la cohésion sociale. L’associer à la protection des mangroves n’est donc pas anodin : son autorité religieuse renforce le respect communautaire autour des zones protégées. Désormais, dans cette portion du Lac Ahémé, toute forme de coupe, de déboisement est strictement interdite. En cas d’infraction, les contrevenants s’exposent non seulement aux pénalités prévues par les dispositions juridiques en matière de gestion des mangroves, mais aussi à la sanction spirituelle de la divinité Zangbéto, redoutée de tous. Pour beaucoup, la crainte du Zangbéto a plus de poids que l’amende administrative.
« Avec la divinité Zangbéto, la sanction est dure, très dure. Cela peut aller jusqu’à l’exclusion sociale »,
confie Djinou Hounguè Toffa Tonounmin 4, président de l’Association des Cultes Endogènes de Bopa

Eco-Benin, un partenaire de longue date pour la conservation
Depuis plus de douze ans, l’ONG Eco-Benin mène des initiatives de conservation communautaire dans le sud du Bénin, en collaboration avec les municipalités et les populations locales. Ces actions ont permis la création d’aires de conservation de la biodiversité autour du Lac Ahémé, où cohabitent écosystèmes fragiles, activités humaines et savoirs traditionnels. Selon Gautier Amoussou, coordonnateur national d’Eco-Benin :
« Nous avons retenu cette tradition dans le plan d’aménagement et de gestion de l’ACCB Lac Ahémé. La sacralisation des mangroves est une initiative portée par les communautés elles-mêmes. C’est un moyen de reconnecter les populations à leurs racines culturelles tout en assurant la survie de la biodiversité. »
Cette approche innovante mêle science, gouvernance locale et spiritualité, créant ainsi une alliance durable entre hommes et nature.

Le cri du lac : un écosystème en danger
Le Lac Ahémé, deuxième plus grand plan d’eau du Bénin, est depuis plusieurs années confronté à une dégradation alarmante. La destruction des mangroves, ces forêts de palétuviers qui servent d’abri à la faune aquatique, a entraîné une diminution drastique des ressources halieutiques. Résultat : la pêche, principale activité économique des riverains, n’assure plus la subsistance des familles. Les jeunes, sans perspectives, migrent vers les villes à la recherche d’un emploi souvent précaire. Face à cette crise, le maire de Bopa, M. Abel Djossou, a exhorté ses concitoyens à renouer avec les valeurs ancestrales :
« Nous vous demandons de respecter la tradition et les lois de la République qui protègent les mangroves. Si nous le faisons, nos eaux redeviendront poissonneuses et nos enfants pourront à nouveau vivre de la pêche. »

Une approche saluée par les experts
Pour Jan Kamstra, expert senior en conservation de la biodiversité, cette approche intégrée du Bénin mérite d’être reproduite ailleurs :
« Prendre en compte la tradition dans la protection de la mangrove est une très bonne chose. C’est respecté par les populations, c’est une tradition forte au Bénin et c’est quelque chose d’unique dans la sous-région. »
Le lendemain de la cérémonie, le 22 octobre 2025, quatre (4) hectares supplémentaires ont été placés sous la protection de Zangbéto à Couffonou et Yèmè, dans la commune de Kpomassè. Petit à petit, une chaîne d’aires sacrées se tisse autour du lac, créant une barrière naturelle contre la dégradation des mangroves.
Cette action s’inscrit dans le cadre du projet intitulé : « Renforcer la résilience des systèmes humains et naturels au changement climatique à travers la conservation et l’utilisation durable des écosystèmes de mangrove dans le sud du Bénin », financé par le Fonds pour l’Environnement Mondial (FEM) et la FAO. Le projet est mis en œuvre par le Ministère du Cadre de Vie et des Transports, en charge du Développement Durable (MCVT) et la Direction Générale des Eaux, Forêts et Chasse (DGEFC), avec l’appui technique de l’ONG Eco-Benin. Son ambition : promouvoir une gestion durable des mangroves tout en renforçant la résilience socio-écologique des communautés locales.

La sacralisation des mangroves du Lac Ahémé démontre que la spiritualité et la science ne s’opposent pas : elles peuvent se compléter harmonieusement. Dans un contexte mondial où la déforestation côtière s’accélère, le Bénin offre ici un modèle inspirant de gouvernance locale, alliant valeurs ancestrales, savoirs traditionnels et stratégies modernes de conservation.
DANIEL ABOKI / ECO-BENIN