À Perma Centre, dans la commune de Natitingou, le karité n’est pas qu’un arbre. Il est une promesse de revenus, de dignité et d’avenir pour des dizaines de femmes. La coopérative Tibobénè, aujourd’hui l’une des plus importantes de la commune, en est une parfaite illustration.
Restée simple groupement jusqu’en 2021, Tibobénè s’est spécialisée dans la transformation des amandes de karité en beurre. À sa création, la coopérative comptait 24 membres. Elles sont désormais 60 femmes, un chiffre qui témoigne d’une évolution remarquable. Ici, tout part de la noix : transformée en amande, puis en beurre, elle constitue la principale source de revenus des ménages.
Mais pendant longtemps, cette activité essentielle avait un coût humain et environnemental élevé. Les journées des femmes transformatrices débutaient par la collecte du bois, se poursuivaient dans une fumée dense autour des foyers traditionnels à « trois pierres », et s’achevaient dans l’épuisement.

Aujourd’hui, le décor a changé. Moins de bois, moins de fatigue, plus de rendement. Grâce à l’introduction des foyers améliorés wanrou et des cuiseurs à bois économes (CBE), les gestes sont devenus plus simples, les efforts moins pénibles et les rendements nettement améliorés.
« Avant, pour une seule transformation, nous achetions un tricycle de bois. Aujourd’hui, avec la même quantité, nous faisons trois transformations. Nous avons bénéficié de quatre foyers wanrou de grande taille, et cela nous aide énormément »,
témoigne Élisabeth Yoto, présidente de la coopérative Tibobénè de Perma.
Au-delà de l’économie de bois, ces équipements ont aussi transformé le quotidien des femmes : moins de fumée inhalée, moins de temps perdu, et davantage d’énergie pour développer leurs activités.

À Koudengou, des repas scolaires à l’heure et sans fumée
À quelques kilomètres de là, dans le village de Koudengou, l’impact est tout aussi visible. À l’aube, alors que le soleil se lève timidement sur les collines de l’Atacora, les marmites s’animent déjà dans la cuisine de l’école primaire publique de Koudengou.
Mais ce matin-là, l’épaisse fumée qui s’échappait autrefois de la cuisine est presque absente. Au centre de la pièce, deux foyers wanrou fonctionnent silencieusement. La pâte de maïs destinée aux écoliers cuit plus rapidement, sans que les cuisinières aient besoin d’alimenter constamment le feu.

La scène n’échappe pas au regard satisfait de Madame Yolande Teffa YROTORI, directrice de l’établissement :
« Avant, nous passions plus de temps à chercher du bois qu’à cuisiner. Aujourd’hui, tout est plus simple. Les cuisinières respirent mieux et les enfants mangent à l’heure. »
Un projet, une vision : allier énergie, économie et environnement
Ces changements, la coopérative Tibobénè et l’école de Koudengou les doivent au projet « Low-tech et production locale pour une autonomisation des femmes dans le département de l’Atacora », mis en œuvre par l’ONG Eco-Benin qui s’occupe du volet structuration, animation et consolidation des filières Foyers Améliorés (FA) et le Réseau des Jeunes pour l’Économie Verte (REJEVE) qui se concentre sur l’aspect recherche et innovation.
Soutenu financièrement par la Fondation Valorem (Watt For Change), l’Agence Française de Développement (AFD), l’Association Bolivia Inti, l’entreprise Villières et la Fondation RAJA, ce projet va bien au-delà d’une simple diffusion d’équipements de cuisson. Il ambitionne de lutter contre la déforestation, de réduire la pression sur les ressources naturelles, tout en favorisant une transition énergétique juste et un développement économique durable au bénéfice des femmes.

À mi-parcours, les résultats sont déjà tangibles
Dans les communes de Natitingou, Matéri, Tanguiéta et Toucountouna, les foyers améliorés wanrou et CBE sont devenus de véritables compagnons du quotidien.
Cent (100) foyers wanrou de grande taille ont été diffusés dans seize (16) écoles à cantine scolaire et trente-deux (32) groupements de femmes transformatrices de produits agro-alimentaires ;
Cent cinquante (150) Cuiseurs à Bois Economes (CBE), vingt (20) foyers mixtes ont été distribués à six (6) coopératives ayant reçu chacune un présentoir d’exposition des foyers.
Testés et largement adoptés, ces foyers permettent de réduire significativement la consommation de bois, tout en améliorant les conditions de cuisson. Mieux encore, certaines coopératives ne sont plus seulement utilisatrices : elles deviennent actrices de la distribution, générant ainsi de nouvelles sources de revenus.
« Nous avons reçu trente (30) foyers CBE que nous avons revendus avec une marge de 2 000 francs par foyer. Cela nous a permis de générer soixante mille (60 000) francs pour agrandir nos activités »,
explique fièrement Élisabeth Yoto.

La production locale au cœur de la solution
L’impact du projet se fait également sentir dans les ateliers de soudure de la zone. Cinq artisans, sélectionnés pour leur expérience, ont été formés et équipés pour fabriquer localement les cuiseurs à bois économes.
Cette production de proximité renforce les compétences techniques, crée des opportunités économiques et garantit la disponibilité durable des équipements.
« Ces artisans ont été choisis sur la base de leurs compétences. Nous avons renforcé leurs capacités techniques et leur avons fourni le matériel nécessaire pour accompagner leur intervention »,
précise Jules Landjohou, chargé de programme à l’antenne Nord d’Eco-Benin.
Chaque CBE fabriqué localement devient ainsi une arme concrète dans la lutte contre la déforestation et une source de fierté pour ceux qui les produisent.

Innovation, genre et autonomisation : l’apport du REJEVE
De son côté, le REJEVE s’est positionné sur les volets recherche, innovation technologique et genre. Le réseau a notamment développé un séchoir solaire tunnel, adapté à la transformation des fruits comme la mangue, et a travaillé sur la valorisation des résidus agricoles en biocombustibles.
« Nous avons transformé des déchets agricoles souvent brûlés ou abandonnés en biocombustibles capables de se substituer au charbon de bois »,
explique Adrien Héviefio, coordonnateur du REJEVE.
Parallèlement, les groupements de femmes ont bénéficié de formations sur l’intégration du genre, l’autonomisation économique et les stratégies de défense de leurs droits au sein des communautés. Dix (10) groupements ont également été équipés de concasseuses de karité, broyeurs, moulins de soja, marmites, bassines, baratteuses et séchoirs solaires.

Des défis à relever pour consolider les acquis
Malgré ces avancées, les 18 mois restants du projet s’annoncent décisifs. L’accès aux résidus agricoles nécessaires à la production de biocombustibles reste contraint par des mécanismes complexes. La diversification des activités de transformations agricoles des coopératives appelle également de nouveaux équipements adaptés.
Autre défi majeur : adapter les séchoirs aux sources d’énergie disponibles localement, afin d’améliorer la qualité des produits transformés et leur compétitivité sur les marchés.
Enfin, la mise en place d’une plateforme de concertation regroupant organisations de la société civile, autorités locales et structures étatiques du secteur de l’énergie et du cadre de vie constitue un enjeu clé pour harmoniser les actions et pérenniser les impacts

À Perma, à Koudengou et dans bien d’autres localités de l’Atacora, le projet Low-tech a enclenché une dynamique profonde. Une dynamique où l’énergie propre ne se contente pas de cuire des aliments, mais allège le travail des femmes, protège les forêts et ouvre de nouvelles perspectives de développement local.
ABOKI DANIEL / ECO-BENIN